Par Michel Abdallah Grimbert

Badr

Tout d’abord, il y eut la victoire fondatrice des musulmans, dans des conditions particulièrement remarquables, miraculeuses pour certaines (sous la conduite de L’Esprit divin), à la bataille de Badr le 17 mars 623 (19 ramadân de l’an 2 de l’Hégire). Victoire dont le retentissement fut considérable, mais toutefois pas encore décisif, auprès de l’ensemble des tribus arabes. Elle opposa, en effet, 305 musulmans dont : 1 converti mekkois sur le champ de bataille, 74 émigrés (muhâjirûn) et 230 Ansâr médinois, à un millier de mecquois. Les enseignements en sont extrêmement nombreux et constituent tous des Signes directs de la part de Dieu.

Ainsi, tout d’abord, l’appui des armées angéliques indiqué dans le Qorân : (III 123 à 126) « Dieu vous a cependant secourus à Badr, alors que vous étiez humiliés… Ne vous suffit-il pas que votre Seigneur vous aide avec trois mille de ses Anges descendus vers vous ? ». Puis l’ordre de bataille adopté, en un corps discipliné, contrairement aux habitudes des arabes du désert qui usaient jusqu’alors d’attaques par escarmouches ou raids (ghâzyat, appelés sous la forme : razzia), guidées par le seul instinct du combat : (LXI 4) « Dieu aime, en vérité, ceux qui combattent dans son chemin en rangs serrés, comme s’ils formaient un édifice scellé avec du plomb ». Ensuite l’intervention directe de Dieu dans le comportement de son Prophète lorsqu’il jeta, pour annoncer le début des hostilités, une poignée de cailloux à la face de ses ennemis : (VIII 17) «… Tu ne lançais pas toi-même les traits quand tu les lançais mais Dieu les lançait… ».

Ou encore la révélation de l’importance du son, jusque dans les premiers états post-mortem ; puisque le Prophète de Dieu s’adressa également directement aux infidèles tués et déjà dans leurs tombes, indiquant ainsi qu’ils pouvaient encore entendre son Message. Ce qui a été repris dans le rite funéraire musulman où les demandes faites pour le mort, selon la Tradition, sont agréées par Dieu qui recouvre tout de Sa Miséricorde1. Enfin la comparaison entre le nombre des tués de part et d’autre. Quatorze d’entre les musulmans, pourtant beaucoup moins nombreux, perdirent la vie contre cinquante morts et autant de capturés chez les mekkois.

Uhud

Devait suivre la bataille d’Uhud en l’an 625 qui fut, de leur fait, une défaite cuisante pour les musulmans ; mais, grâce à Dieu, non décisive. En effet, le Prophète de Dieu lui-même y fut blessé et il eut à déplorer la mort de Compagnons et de combattants émérites, dont son oncle Hamzah ibn ‘Abd al-Muttalib. L’on doit retenir qu’au cours de cette bataille les musulmans se montrèrent divisés, désobéissants aux ordres du Prophète de Dieu dont ils devaient assurer la couverture et ainsi ouvrant une brèche décisive à la cavalerie adverse2. Et enfin ils se montrèrent pusillanimes pour certains d’entre eux, assoiffés par l’idée du butin à se partager3 ; jusqu’à provoquer le décès de vaillants Compagnons, morts en martyrs (Shahîd, pl. Shuhadâ’). Pourtant les troupes mecquoises crièrent victoire trop tôt ; crurent, sans le vérifier, à la mort du Prophète de Dieu ; et se retirèrent sans prendre un avantage décisif et définitif : (VIII 19) « Vos troupes ne vous serviront à rien, même si elles sont nombreuses. Dieu est avec les croyants ! ».

Dieu heureusement veillait ! Mais la leçon était, ô combien, cruelle !

Khandaq

Ensuite, il y eut la bataille dite du Fossé (Khandaq) en l’an 627, encore appelée : « Guerre des Confédérés » (Azhâb) constitués de mekkois et de diverses tribus bédouines et juives, au nombre de quelques 10000 combattants, dont un millier de cavaliers, contre quelques 3000 combattants chez les médinois. Cette bataille essentiellement défensive, que le Prophète pu largement anticiper – en récoltant les moissons avant l’arrivée de ses ennemis, privant ainsi leurs chevaux de fourrage -, fut l’occasion de mettre en place un stratagème défensif, inédit dans l’art de la guerre chez les arabes, qui consistait en un fossé profond entourant le lieu à préserver ; sur lequel la cavalerie des Confédérés se brisa. Découragés et soumis à des intempéries violentes : (XXXIII 9) « Lorsque les armées marchèrent contre vous, Nous avons envoyé contre elles un ouragan et des armées invisibles », les Confédérés bientôt reconnurent leur défaite et battirent en retraite. Salmân al-Fârisî, ou Salmân le Perse – Compagnon, comme nous l’avons indiqué, tellement proche du Prophète que celui-ci le considérait comme un membre de sa famille (ahl al-bayt) -, fut à l’origine de ce stratagème. Son parcours, depuis sa Perse natale jusqu’à son allégeance à Muhammad qu’il reconnut comme le Prophète annoncé, notamment grâce à sa bosse dans le dos qu’il repéra, passa tout d’abord par une conversion au christianisme, puis il fut trahi par ses compagnons d’alors ; ce qui l’amena à être vendu comme esclave. Il devait racheter sa liberté avec l’aide du Prophète de Dieu. Grâce à cette Proximité éminente, il devint un modèle de transmission initiatique, notamment auprès des peuples non arabes de l’empire sassanide : de l’Irak au Khorassan, de Bagdad à Kaboul, avec lesquels son génie personnel était en affinité profonde.

Hunayn

Puis vint la bataille de Hunayn en 630 qui marque l’importance du « modèle prophétique » Uswatun hasanatun. : (IX 25 à 28) « Dieu vous a secourus… le jour de Hunayn où votre grand nombre ne vous servait à rien… Dieu fit ensuite descendre sa Sakînat sur son Prophète et les croyants. Il fit descendre des armées invisibles… Ô vous qui croyez ! Les polythéistes ne sont qu’impureté : ils ne s’approcheront donc plus de la Mosquée sacrée (al-Masjid al-Harâm), après que cette année sera écoulée ». En effet, d’une part, alors même que les difficultés et les doutes venaient à s’insinuer au cours des combats, rudes et éprouvants, chez les Compagnons, le Prophète reprit le geste du « jeté de cailloux » qui lui avait été inspiré directement par Dieu à la bataille de Badr ; actualisant ainsi, il est vrai, le geste d’Abraham contre Satan, que les pèlerins répètent, sur les 3 stèles (jamarât) disposées à Mina. D’autre part le Prophète de Dieu, à cette occasion, rappela aux musulmans leur « pacte » (bay’ah) initié à ‘Aqabah en l’an 620, et fit porter son ordre par la voix de al-‘Abbas, auquel chacun répondit par le célèbre : «Nous voici ! » : Labbayk ! qui enveloppe de sa Grâce le Pèlerinage à la Maison sacrée d’Allâh, depuis l’Appel d’Abraham : (XXII 26-27) « Nous avons établi pour Abraham l’emplacement de la Maison. Ne m’associe rien, purifie ma Maison… Appelle les hommes au Pèlerinage : ils viendront à toi, à pied ou sur une monture élancée. Ils viendront par des chemins encaissés (profonds, au sens extérieur comme intérieur) ».

Tabûk

Enfin eut lieu la bataille (maghâzi) de Tabûk, aux marges de l’Empire byzantin, en l’an 631 ; et qui se trouve être la dernière expédition conduite par le Prophète de Dieu. Elle préfigure et représente la Conquête arabe (al-Fath) après la mort du Prophète de Dieu en 632, par annexions et ralliements successifs des tribus puis des peuples rencontrés ; constituant ainsi ce qui deviendra le « Dar al-Islâm » ; c’est-à-dire les territoires où prédominent la Loi religieuse islamique (Sharî’ah) protectrice des autres Communautés. A cet égard deux notions complémentaires sont à considérer premièrement : quelles communautés doivent-elles être respectées par l’Islâm et deuxièmement quel statut juridique leur a-t-il été accordé ? Concernant le premier point il s’agit de ceux que l’on nomme : Ahl al-Kitâb ou « Gens du Livre », ce que le Qorân précise ainsi : (X 47) « Un Prophète a été envoyé à chaque communauté » et (V 48) « Nous avons donné à chacune d’entre elles une Loi (Shir’at) et un Code (Minhâj) ». Toutefois l’histoire a malheureusement restreint cette très large vision coranique aux seuls peuples qui ont reçus les écritures révélées, (II 62 et V 69) « Tels les juifs, les chrétiens et les sabéens qui (pour ces derniers, représentent) sont ceux qui ont cru en Dieu, au Jour Dernier et auront pratiqué le Bien ». Quant au statut juridique qui leur est accordé il est appelé : adh-Dhimmah, et sous réserve de verser un impôt par tête : jizya et un impôt foncier : kharâj, ils avaient le droit de conserver leurs institutions, notamment en matière de justice et étaient protégés par les musulmans. L’on dit, nous l’avons déjà noté, très pertinemment chez les musulmans que les territoires ainsi conquis avaient été en quelque sorte préparés par la Conquête d’Alexandre le Grand, dénommé dans le Qorân Dhû al-Qarnaïn (XVIII 83 à 92).

1  A. Gilis « La Prière sur le Défunt : salât al-janâza » d’après l’enseignement de Ibn ‘Arabî, Eds Albouraq.

2  Qorân III 152 : « Dieu a rempli sa promesse envers vous, quand avec sa permission vous anéantissiez vos ennemis, jusqu’au moment où vous avez fléchi, où vous avez soulevé des contestations au sujet de cette affaire. Vous avez désobéi après que Dieu vous eut montré ce que vous souhaitiez. »

3  Qorân VIII 67-68 : « Vous voulez les biens de ce monde. Or Dieu veut pour vous la vie future… Si une prescription de Dieu n’était pas déjà intervenue, un terrible châtiment vous aurez atteint, à cause de ce dont vous vous êtes emparés. »