Le « Voyage nocturne » : al-Isrâ’ wa al-Mi’râj, du Prophète  vers Dieu, en Dieu et son Retour vers les hommes:

Cet épisode miraculeux, au sens propre du terme, de la vie du Prophète de Dieu est emblématique de sa réalisation personnelle qui, en vérité, recouvre l’ensemble des réalités de tous les mondes. N’a-t-il pas, d’ailleurs, été envoyé comme une miséricorde pour les mondes : (Qorân XXI 107) « Nous t’avons seulement envoyé comme une miséricorde pour les mondes. » La vie du Prophète comporte donc une multitude d’indications relatives aux autres mondes auxquels il a accès de façon directe et claire mais qui toutefois ne l’empêchent pas de participer totalement et avec le maximum d’adéquation à notre monde. Et dès lors chacun suivit sa « trace » et mis ses pas dans ses propres « pas », porteurs de Transcendance.

Ainsi, il est rapporté :

Alors que le Prophète se reposait ou veillait dans le Hijr, lieu dans l’emprise circulaire de la Ka’ba originelle, trace de la tente : khayma, d’Adam, lors de sa présence sur Terre, l’Ange Gabriel vint à lui, le fit se lever et le conduisit jusqu’à un animal ailé appelé : al-Burâq qui  l’amena, tout d’abord, de la Mosquée sacrée : Masjid al-Harâm, à la Mecque jusqu’à la Masjid al-Aqsâ’, à Jérusalem (al-Isrâ’), où il pria avec les Prophètes ses prédécesseurs. Cette translocation nocturne, dénommée Isrâ’ (de sa-ra-ya : voyager de nuit), ici d’une Mosquée à une autre, impliquant qu’il s’agit, en fait, de la même réalité essentielle indivise : l’Esprit de Dieu (Rûh) qui réside en chacune d’elle. Confirmant ainsi que ce Voyage est guidé par l’Esprit divin, selon les conditions nocturnes propices à la présence de l’Autre-monde; en dehors donc des conditions diurnes de ce  bas-monde.

D’ailleurs, le Qorân qui décrit cette réalisation dans la Sourate Al-Najm (l’Etoile)  en LIII 1 à 18, commence sa description ainsi : « v1. Par l’étoile lorsqu’elle disparait ! ». C’est-à-dire  que nous quittons et allons au-delà des conditions de l’ordre du Cosmos. Le Texte sacré affirmant ensuite que, pour autant, bien qu’enlevé (jadhaba) à la condition terrestre : «v2 Votre compagnon n’est pas égaré ; il n’est pas dans l’erreur ; v3 il ne parle pas sous l’emprise de la passion (hawâ).» Passions de l’âme nées, on le sait, de ses liens au corps, ici transcendé.

Puis le Prophète de Dieu accéda à la Présence divine en passant successivement par les 7 cieux marquant les réalités spirituelles propres à chacune des 7 réalités prophétiques (al-Mi’râj) qui sont : Adam, puis Jésus et Jean-Baptiste, Joseph, Idris, Aaron, Moïse et enfin Abraham. Le Qorân poursuit ainsi sa description (LIII 4 à 16) : «v4 C’est seulement une Révélation (wahî) qui lui a été inspirée. V5 Le Puissant, le Fort la lui a fait connaître. V6 Celui qui possède la force s’est tenu en majesté, v7 alors qu’il se trouvait à l’horizon suprême (bi-l-ufuqi al ‘alâ) ; v8 puis il s’approcha et demeura suspendu. V9 Il était à une distance de deux portées d’arc  – ou moins encore – v10 et Il révéla à son serviteur ce qu’Il lui révéla. V11 Le cœur (fuâd) n’a pas inventé ce qu’il a vu. V12 Allez-vous donc élever des doutes sur ce qu’il voit ? V13 Il l’a vu, en vérité, une autre fois, v14 à côté du jujubier de la limite (sidrat al muntahâ), V15 auprès de laquelle se trouve le Jardin de la Demeure ; v16 au moment où le jujubier était enveloppé par ce qui le couvrait. »

L’Ange Gabriel, alors, s’était écarté, ne poursuivant pas plus loin son accompagnement du Prophète de Dieu qui accédait à des réalités bien au-delà des états angéliques.  Au point culminant de son Ascension se trouvait le « Lotus de la limite (sidrat al-muntahâ) » avant l’Absolu : (LIII 17-18) « Son regard ne dévia pas et ne fut pas abusé. Il vit alors la plus grandiose des merveilles de son Seigneur (Laqad ra’â min âyâti rabbihi al-kubrâ) ».

Le récit du « Voyage nocturne » par le Prophète, quand il rapporta, auprès des Qoraïchites, qu’il s’était rendu à Jérusalem (al-Isrâ’) pendant la nuit, fut accueilli avec réserve sinon par des railleries et l’incrédulité la plus totale. Et telles furent les premières réactions, sauf de la part de son Compagnon et ami intime Abû Bakr qui affirma alors : « S’il le dit c’est que c’est vrai ! » ; ce qui lui valut le surnom de as-Siddîq : « celui qui témoigne de la Vérité ». Plus tard des caravaniers qui l’avaient vu, revenant de Jérusalem, confirmèrent ses dires auprès des mecquois. Par la suite, il ne devait plus parler de son Ascension au Ciel (al-Mi’râj) qu’à ses seuls  proches Compagnons.

Outre cette Ascension, proprement dite, que d’autres Prophètes ont réalisé, tels : Elie (Ilyâs ou Il-Yâsîn XXXVII 123) ou Jésus (‘Isâ), l’aspect le plus notable est la Descente ou le Retour vers les Hommes du Prophète de Dieu ; lequel devait être suivi, tout d’abord, par son Emigration de la Mecque à Médine puis par la Reconquête du Sanctuaire antique de la Mecque, désormais définitivement purifié et consacré à l’Islâm. Si l’on veut bien comprendre cette suite d’événements apparemment négatifs relatifs à l’Hégire du Prophète de Dieu, obligé de fuir le lieu et l’entourage familial qui l’ont vu naître, grandir et s’affirmer, jusqu’au moment où a eu lieu la Révélation que la plupart de ses concitoyens ont refusé. Donc cet exil, aussi négatif qu’il puisse être et apparaître, contraint provisoirement le Prophète à d’abord convaincre et conquérir les autres tribus de l’Arabie au nom de l’Islâm, avant de pouvoir revenir en vainqueur à la Mecque avec leur appui – tels furent ceux que l’on appela les Ansâr (les Auxiliaires) – contre ses ennemis mecquois les Quraychites qu’il avait dû quitter à contrecœur, le  Message dont il était porteur de la part de Dieu n’étant pas entendu et farouchement combattu. C’était le prix à payer pour reconquérir définitivement la Maison sacrée. Il devait mourir parmi les siens en leur ayant transmis la Réalité muhammadiyyenne qui réunit les réalisations tant ascendante vers Allâh que descendante vers les hommes ; à l’image de l’Attestation de la Foi qui s’énonce : « Lâ ilâha illâ Allâh wa Muhammad Rasûl Allâh ». Nous allons revenir sur ces différents points.

Par Michel Abdallah Grimbert

Disciple de la tariqa Qadiriya Boutchichia