Mohammed devient un adulte accompli : mariage et maturité

L’assurance lui venant, le Prophète de Dieu qui avait une vingtaine d’années, se vit confier par une riche veuve mecquoise, Khadîdja, la conduite de ses caravanes commerciales, et il sut si bien attirer son attention et l’impressionner par la réussite de ses transactions qu’elle envisagea de le contacter afin de le demander en mariage. Le protégé d’Allâh avait alors 25 ans. Toutefois il fallait obtenir, pour Khadîdja, le consentement de son père qui tenait Mohammed pour un orphelin sans héritage, indigne de sa fille. Un subterfuge l’amena finalement à donner son consentement. Cela se passa en l’an 595. La Tradition rapporte qu’ils eurent 2 fils, morts en bas-âge : Qâsim et ‘Abd Allâh, et 4 filles : Zaynab, Ruqayyah, Fátima et Umm Kulthûm[1], dans le cadre d’une union monogame jusqu’à la mort de Khadîdja en l’an 619 qui sera appelé : « l’année de la tristesse » ; car cette même année devait également décéder Abû Tâlib l’oncle et le protecteur du Prophète, chef des Banû Hâshim. Cette union monogamique, différemment des mœurs du temps, se déroula à la Mecque, et fut centrale[2], comme nous le verrons, dans la vie du Prophète de Dieu. D’ailleurs sa présence intime et son influence se prolongea pour toujours dans le cœur du Prophète de Dieu et est à comparer, pour être comprise, avec ce que l’on a appelé, par la suite, le Harem (Harîm) du Prophète de l’Islâm, principalement à Médine.

De l’an 595 qui marque le début de la vie de famille du Prophète de Dieu, jusqu’à l’an 610 marqué par la Révélation, un 27e jour du mois béni de Ramadân, soit sur une longue période d’une quinzaine d’années, il faut constater que l’ensemble des rapporteurs de la Sîrat sont à peu près muets. En fait, le Prophète de Dieu qui n’a pas encore été missionné, mûrit, se tourne constamment vers Dieu, lors de nombreuses retraites ; et ainsi s’approprie l’ensemble des aspects humains de la quête de Dieu ; se préparant ainsi à être un pédagogue, un éducateur toujours pertinent, en phase avec chacun de ses interlocuteurs.

Un événement pourtant est révélateur du statut particulier du Prophète de Dieu dans la communauté Qoraïchite, avant même qu’il n’entame sa prédication. Cet événement est celui de sa participation à la finalisation de la reconstruction de la Ka’ba entreprise par l’ensemble des clans Qoraïchites, qui devait lui permettre de marquer et d’affirmer, dans la continuité de ses ancêtres, tant son autorité morale que son ascendant spirituel sur ses contemporains. En effet, les Quraychites ne purent pas se mettre d’accord quand, ayant achevé la reconstruction de la Ka’ba, ils voulurent replacer à son angle, indiquant ‘Arafat, la Pierre noire (al-Hajar al-aswad) descendue du ciel, qui symbolise la Descente de la Présence divine et donc l’axe des 4 piliers de la Ka’ba[3]. Or c’est à ce moment décisif et crucial qu’apparut Mohammed le futur Prophète. Il fût alors accueilli par tous, qui connaissaient son ascendance, au nom de « Al-Amîn » qui signifie : l’Homme de Confiance, le Garant ; et, après avoir transporté la Pierre noire sur un tapis tenu aux quatre angles par les représentants des différents clans, ils le chargèrent de la sceller, en surélévation, à son angle désignant ‘Arafat, le lieu de la connaissance, comme l’indique l’étymologie ; station suprême du pèlerinage au sanctuaire antique[4].

Pour lui-même, le Prophète avait conscience de ce à quoi il se préparait et qu’il résumait ainsi, en répondant à ses interlocuteurs : « qu’il était déjà Prophète quand Dieu était sur le point d’insuffler une âme au corps d’Adam ; puis ajoutait : Je suis le premier homme de la création et le dernier des Prophètes. »[5]

Ainsi, durant cette période, les événements attachés à la seule vie privée, comme on peut le comprendre, n’ont pas encore, en eux-mêmes, la portée d’un enseignement pour la communauté, qui s’attachera plus tard, jusqu’à la confiance la plus absolue, à la personne de l’être missionné.

Par Michel Abdallah Grimbert

Disciple de la tariqa Qadiriya Boutchichia

[1] La fille ainée du Prophète de Dieu Zaynab fut mariée à Abu-l-‘Âs qui persista longtemps dans l’incroyance et qu’elle dut  quitter pour retourner chez son père ; après diverses péripéties celui-ci finit par se convertir à l’Islâm. Sa seconde fille Ruqayyah devint l’épouse du futur 3ème Calife ‘Uthmân ibn ‘Affân. Sa troisième fille Fâtimah épousa le futur 4ème Calife ‘Alî ibn Abî Tâlib dont les 2 fils survivants : Hasan et Husayn, sont les ancêtres des Shurafâ’ (sing. Sharîf). Enfin sa quatrième fille Umm Kulthûm, après un mariage dissous avec un des fils d’Abou Lahab, ennemi haineux de l’Islâm, épousa, après le décès de sa sœur ainée Ruqayyah, ‘Uthmân ibn ‘Affân qui dès lors fut surnommé : « Dhû al-Nûrayn » (le possesseur des 2 lumières) parce qu’il avait épousé 2 des filles du Prophète de Dieu.

[2] Au sens ici d’un accomplissement total du potentiel humain en ce monde, tel que l’exprime Cheikh Abdel Wahîd Yahyâ au chap. XXXIX  « Grands mystères et petits mystères » de ses  « Aperçus sur l’Initiation » Eds Traditionnelles.

[3] Selon Ibn Abbas l’Envoyé de Dieu  a dit : « Par Allâh ! Au Jour de la Résurrection, Allâh ressuscitera la Pierre Noire avec deux yeux par lesquels elle verra et une langue grâce à laquelle elle parlera ; elle témoignera en faveur de ceux qui au cours du Tawâf l’auront touchée avec (par leur) Foi véritable. » La raison de cet attouchement est très profonde et dépasse les plans extérieurs. Selon un Hadith rapporté par Ibn Khuzaymah : « la Pierre Noire est la Main Droite de Dieu ; par laquelle Il fait ou renouvèle le Pacte avec Ses créatures ». Ceci est à rapprocher directement du verset en XLVIII 10 relatif au Pacte pris avec le Prophète de Dieu où il est dit : « Ceux qui te prêtent un serment d’allégeance ne font que prêter serment à Dieu. La Main de Dieu est posée sur leurs mains. »

[4] Un Hadîth prophétique dit très clairement, de façon redoublée : « Le Pèlerinage c’est ‘Arafat ! », Mont de la Connaissance Suprême, lieu d’une Station pure (Wuqûf) sans rituel, ni gestuelle, ni parole. Cet état correspondant directement à la station inconditionnée de l’Ihsân.

[5] Michel Chodkiewicz, chap. IV « La Réalité muhammadienne » dans « Le Sceau des saints » Tel Gallimard.