L’émigration, « Hégire » :

Dès l’an 615 les rangs des convertis grandissaient et s’étoffaient, ce qui inquiétait les mecquois et leur fit décider de représailles, jusqu’à emprisonner certains d’entre eux ou, comme Bilal, à les torturer. Le Prophète de Dieu réunit alors ses fidèles et les incita, s’ils le pouvaient, à se disperser et à s’exiler, en particulier en Abyssinie pays alors dirigé par Najachi – le Négus –, roi chrétien pieux et tolérant. A l’issue d’un voyage périlleux, pourchassés par les Qoraïchites, les convertis débarquèrent en Abyssinie et furent bien accueillis par les sujets du roi. Ils étaient au nombre de onze hommes et quatre femmes, seuls ou accompagnés de leurs enfants. Parmi ces premiers émigrés figuraient : ‘Uthmân ibn Affan accompagné de son épouse Ruqayyah, la seconde fille du Prophète, et de Khadîdja ; ainsi que le futur ambassadeur du Prophète à Médine, auprès des premiers convertis d’Aqaba, Abdallâh ibn Mas’ud qui sera chargé de leur enseigner le Qorân et la Sunna du Prophète, afin de répandre le Message de Dieu ; préparant ainsi l’accueil du Prophète de Dieu par la conversion de nombreux « Auxiliaires », les Ansârs : (IX 100) « Quant à ceux qui sont venus les premiers parmi les émigrés et les auxiliaires du Prophète et ceux qui les ont suivis dans le bien : Dieu est satisfait d’eux et ils sont satisfaits de Lui. »

Parallèlement se mettait en place, selon le souhait intime des croyants la notion de « Pacte » Bay’ah qui est un serment d’allégeance ou de fidélité, qui s’est constituée très tôt en Islâm à partir du lien d’Autorité spirituelle qu’établissait avec Dieu son Envoyé, vis-à-vis des nouveaux entrants en Islâm : (XLVIII 10) « Ceux qui te prêtent un serment d’allégeance ne font que prêter serment à Dieu (yubâï’ûna’Llâh) ; la Main de Dieu est posée sur leurs mains (yadu’Llâhi fawqa aïdîhim) ». Il s’agit ici pour les croyants de l’accomplissement de la deuxième partie de la Shahâdat. A cet égard, dans le Qorân, il y a deux éléments fondateurs qui établissent cette institution ancestrale.

En effet, cette institution, qui se situe dans le cadre d’un Rappel de la Vérité immuable, prend appui sur une réalité présente en chacun de nous à notre naissance. En effet, Dieu, dès la préexistence de l’humanité, a mis les hommes en garde contre eux-mêmes. Il leur a fait attester de façon solennelle (Mîthâq) son rattachement à Lui : (VII 172) «Quand ton Seigneur tira une descendance des reins des fils d’Adam, Il les fit témoigner contre eux-mêmes (ashhadahum ‘alâ anfusihim) : Ne suis-je pas votre Seigneur ? Ils dirent : Oui, nous en témoignons (shahidnâ) ! Et cela pour que vous ne disiez pas le Jour de la Résurrection (yawma-l-qiyamat) : Nous avons été pris au dépourvu. »  Et c’est bien cette première Attestation, inscrite en chacun de nous, qui permet aux hommes de percevoir la nécessité de renouveler le Pacte initial avec celui qui, en leur temps, est missionné, vers eux, par Dieu.

Et premièrement, quant à ce renouvellement, il y a ce que l’on appelle le premier Pacte dit de ‘Aqabah : (XC 11) où, en effet, il est parlé d’un lieu qui est situé au flanc d’une montagne : al-‘Aqabah. Pacte qui, en fait, se déroula en 3 temps et sous deux formes. Tout d’abord, en Juin 620 quand 6 hommes de la tribu des Khazraj de la ville de Yathrib, future Médine, acceptèrent le Message de Dieu transmis par son Prophète. Puis l’année suivante en 621, au même lieu, ils revinrent avec 7 autres hommes dont deux membres de la tribu des Aws, confirmer le même serment. Voilà pour la première forme du Pacte qui, de fait, avait la forme d’une simple reconnaissance. Ce sur quoi un des Compagnons du Prophète : Mus’ad1, rentra avec eux à Yathrib afin de leur enseigner l’Islâm et le Qorân. Enfin, à l’occasion du Pèlerinage de l’année suivante en 622 eut lieu ce que l’on appelle le second Pacte d’Aqabah, où les hommes, cette fois, s’engagèrent à combattre et à défendre le Prophète de Dieu. Ils étaient 73 des 2 tribus dont 2 femmes qui prononcèrent, quant à elles, le simple serment de reconnaissance de l’année précédente, sans sa nouvelle dimension d’engagement et de sacrifice physique. Ainsi se mit en place le premier Pacte, dit Pacte de ‘Aqabah qui, beaucoup plus tard fut définitivement scellé lors du Pacte d’allégeance dit de la Félicité (Bay’ah ar-ridwân) à Hudaybiyyah que rappelle le verset en XLVIII 18 : « Dieu était satisfait des croyants lorsqu’ils te prêtaient serment sous l’arbre. Il connaissait le contenu de leurs cœurs. Il a fait descendre sur eux la Sakînat. Il les a récompensés par une prompte victoire. »

Ceci annonçait le choix du Prophète de Dieu d’entreprendre pour lui-même son Emigration à Yathrib, désormais appelée « Madînat an-Nabî » : Médine.

De fait, alors que beaucoup des musulmans avaient déjà émigré, Mohammed demeura encore quelque temps à la Mecque avec son ami Abû Bakr qui le fiança à sa fille ‘Âïchat. Or un soir de Septembre de l’année 622, alors que ses ennemis complotaient en vue de l’assassiner, le Prophète fut averti par l’Ange Gabriel de ce qui se tramait contre lui ; et laissant dans son lit, en guise de leurre, son cousin ‘Alî, il parvint à s’enfuir en compagnie de Abû Bakr, décidant de se terrer trois jours durant, dans une caverne proche de la Mecque.

Ibn Sa’d raconte : « Une araignée tissa une toile à même l’entrée de la caverne. Par la grâce de Dieu, un arbrisseau poussa devant l’ouverture de la grotte et deux colombes sauvages nichèrent paisiblement sur ses branches fleuries. »

Les Qoraïchites voyant la toile d’araignée intacte et les deux colombes, à l’entrée de la grotte, rebroussèrent chemin, en pensant que le repaire était certainement inhabité. Nos deux Compagnons échappèrent ainsi à la mort et décidèrent de quitter ce lieu fatigués et tenaillés par la faim. Sur leur chemin vers Médine, à l’écart des routes fréquentées, ils rencontrèrent une vieille bédouine Oum Ma’Bad qui possédait une chèvre famélique que le Prophète de Dieu, avec la permission de la vieille femme, entreprit de traire. La chèvre alors se mit à étirer les pattes et présenta des mamelles gorgées de lait en abondance. Le Prophète servit alors ses hôtes en commençant par Oum Ma’Bad, puis Abû Bakr et enfin lui-même. Le soir le mari de la Bédouine rentra au campement et elle lui raconta l’épisode miraculeux de l’homme qui avait su tirer un lait abondant de leur chèvre. Celui-ci lui demandant de lui décrire physiquement cet homme, elle lui dit :

« Il a un visage lumineux, agréable et avenant qui exprime la joie et le bonheur. Il est bon, gentil et pas du tout gourmand. Il n’est ni grand ni petit. Sa stature est moyenne mais robuste ; Son cou est allongé. Sa voix est musicale, mais non aiguë. Il a de grands yeux noirs, d’épais sourcils et les cheveux noirs. Sa barbe et ses cheveux sont abondants. Son discours est très expressif, très doux et aussi beau qu’un collier de perles. Il est très calme et inspire le respect à ses compagnons, qui obéissent à ses commandements. » Ce à quoi l’homme répondit :

« C’est certainement l’homme recherché par les Qoraïchites. Par Allâh ! Si je l’avais rencontré, je l’aurais suivi et je le ferai si l’occasion s’en présente. »

1 K. Muhammad Khâlid : « Mus’ab Ibn ‘Umayr – le premier ambassadeur de l’Islâm » extrait de son livre sur les Compagnons du Prophète de Dieu : «Rijâl hawla ar-rasûl – Des Hommes autour du Prophète – » Eds Maison d’Ennour.